Par Robert Dapère.
Notre expérience nous porte à croire que fiabilité et accidentabilité sont des facteurs reliés dans l’industrie. Intuitivement, nous nous disons que dans l’usine idéale sans pannes, il devrait y avoir moins de risques que dans une usine où les pannes abondent. Ou tout au moins qu’il y a moins d’occasions de “prendre des risques”.
J’ai eu l’opportunité de travailler dans un grand groupe industriel il y a quelques années, dans lequel la fiabilité était un sujet primordial, ainsi que la sécurité au travail.
Nous avions décidé de promouvoir partout la TPM et/ou le World Class Manufacturing. Bien sûr, toutes les usines n’ont pas démarré l’utilisation de ces techniques au même moment, et ne les ont pas non plus mises en œuvre avec le même enthousiasme ni la même intensité.
Il n’en demeure pas moins qu’après quelques années, nous avons pu mener une analyse globale de l’impact de la fiabilité sur les résultats de sécurité.
Cette analyse porte sur 49 usines de taille moyenne et comparable, réparties dans le monde, et ses conclusions sont extrêmement intéressantes. Voici un graphique qui la résume admirablement.
Le Taux de Rendement Global (TRG) des installations était une mesure commune à la plupart des usines, il était donc commode de l’utiliser. Nous avons donc demandé à chaque usine quel était son TRG initial (année de référence avant le démarrage de la TPM ou du WCM) et son TRG actuel. Idem en ce qui concerne le Taux de Fréquence des accidents du travail. Pour pouvoir valablement comparer, nous nous sommes basés non pas sur les valeurs absolues, mais sur l’évolution de l’un et de l’autre par rapport aux références initiales puis nous avons reporté les 49 valeurs sur un graphique.
Que voit-on sur ce graphique ?
D’abord que la corrélation entre évolution du TRG et évolution du TF est bonne. Les statisticiens trouveront sur l’illustration les coefficients de Pearson R et R2 qui justifient cette affirmation. Cela valide l’intuition que plus l’usine devient fiable, plus la sécurité s’améliore.
Ensuite qu’une augmentation somme toute modeste du TRG (12%) correspond à une amélioration significative du Taux de Fréquence (25% seulement du TF initial !!! – mais dans certains cas, on partait de très haut…) La droite théorique de corrélation nous dit même que 16% d’amélioration du TRG correspondrait à un TF de l’ordre de 15% du TF initial.
Nous pouvons essayer de lister les raisons de ces améliorations spectaculaires, qui sont des raisons de bon sens :
• Les risques sont plus grands dans les situations de “non-conformité” et d’improvisation, qui sont souvent celles du dépannage ;
• Qui dit non-fiabilité dit perturbation des flux de production et donc stress accru des personnels. Inversement, je n’ai jamais vu courir quiconque dans les usines ultra fiables ;
• Lorsque le manufacturing est dégagé des problèmes de fiabilité, il se concentre bien plus sur la prévention et l’élimination des risques de toutes natures (machines, process, produit, personnes).
Pour terminer, je voudrais attirer l’attention sur les questions de vigilance. Nous savons que lorsque nous implantons énergiquement une méthode efficace et positive pour tous comme la TPM ou le WCM, il y a au démarrage et pendant un certain temps de l’intérêt, parfois de l’enthousiasme, et certainement une attention accrue portée aux équipements. L’accent est mis sur la notion d’anomalie mécanique, électrique, hydraulique et sécurité. La durabilité de l’amélioration de la sécurité est donc conditionnée par la poursuite permanente du progrès de la fiabilité. Ce qui signifie que la corrélation que nous avons mise en évidence n’est pas une loi “mécanique”. En filigrane, il y a des raisons de comportement induit par la TPM ou le WCM qui sont fondamentales. Il n’y a pas de miracle, la durabilité suppose que le Management continue à injecter en permanence de l’énergie dans le système.